Les économistes du XIXème siècle, qui seront par la suite appelés « néo-classiques », élaborèrent une théorie de la formation du prix sous le modèle de la « concurrence pure et parfaite » (CPP). Cette concurrence est censée permettre un équilibre général sur tous les marchés lorsque cinq conditions sont remplies, à savoir : l’atomicité, l’homogénéité, la fluidité, la transparence et la libre circulation. Cette structure extrême du marché, à la fois pure et parfaite, nous laisse volontiers supposer qu’il existerait un pendant, un autre extrême, une autre structure du marché, « imparfaite et impure ». En effet, elle existe et on l’appelle le « monopole ».

Le terme « monopole » provient du grec monos qui signifie « un seul » et polein signifiant « vendre », littéralement « un seul vendeur ». Il y a monopole sur un marché lorsqu’un offreur de bien ou service se trouve dans une position qui lui confère l’exclusivité totale de l’offre de ce bien ou service. Autrement dit, c’est cette situation où, si l’on souhaite acheter un produit, l’on ne peut l’acheter qu’auprès d’une seule et unique entreprise. Notons qu’il faut immédiatement se prémunir de ce terrible écueil qu’est la confusion entre monopole et « position dominante » ; cette dernière correspond à une situation où il existe plusieurs offreurs sur le marché – contrairement au monopole – et où l’un d’eux domine largement. Par exemple, on considère aisément que Google occupe une position dominante, et non monopolistique, face à ses concurrents à l’instar de Baidu et Yahoo.

Néanmoins, une situation monopolistique naturelle – c’est-à-dire non attribuée par les pouvoirs publics – est assez rare. On remarque que ce sont surtout les situations d’« oligopole » qui prévalent. Succinctement, on parle d’oligopole lorsqu’il existe un nombre restreint d’offreurs sur un marché pour une demande importante. Des exemples notables sont Orange, SFR, Bouygues Telecom pour la téléphonie mobile en France ou encore Rolls-Royce, Snecma, General electrics et Pratt-Whitney pour la motorisation aéronautique.

Aussi, on devine aisément ce qu’est un « duopole ». La théorie duopolistique a été développée en 1838 par Antoine-Augustin Cournot dans Recherche sur les Principes mathématiques de la Théorie des Richesses. Comme célèbres duopoles, on retrouve notamment Airbus et Boeing ou Pepsi et Coca-Cola. Une situation duopolistique est particulièrement intéressante puisqu’elle fait entrer des jeux de stratégie managériale d’entreprise et des rapports de force inter-corporatistes qui sont au cœur même de la concurrence visant à acquérir des parts de marché toujours plus importantes pour s’assurer d’un bénéfice et de dividendes toujours plus substantiels. Les théories économiques qui traitent du duopole d’un point de vue quantitatif sont principalement au nombre de trois : le duopole symétrique de Cournot, le duopole asymétrique de Stackelberg et le duopole de Bowley. Ensemble, ces trois théories permettent de comprendre les tenants et aboutissants d’un duopole.

Cournot : Antoine-Augustin Cournot expose le modèle suivant. Deux entreprises, produisant le même bien, déterminent leur offre de biens. Chacune ignore l’offre de l’autre. Pour prendre leurs décisions, elles devront anticiper à la fois l’offre qui a été déterminée par le concurrent, mais aussi prévoir le comportement adaptatif de ce concurrent une fois que les offres auront été révélées sur le marché. Autrement dit, il va falloir anticiper la « réaction » du concurrent à l’offre proposée. L’entreprise devra donc conjecturer la « fonction de réaction » de l’autre duopoleur. Par la suite, chacune essaiera de maximiser son profit, en prenant en compte la production de l’autre, à la manière d’un simple monopole en égalisant son coût marginal (« coût résultant de la production d’une unité supplémentaire de bien ») et sa recette marginale (« recette résultant de la vente d’une unité supplémentaire de bien »). Cette maximisation se fait sur la base de la demande résiduelle, c’est-à-dire de « la soustraction de l’offre de l’autre duopoleur à la demande totale ». On a donc un comportement d’interdépendance qui ne se fonde que sur des anticipations pouvant être erronées et pouvant empêcher tout équilibre, pourtant nécessaire à la détermination du profit.

Stackelberg : L’analyse de Heinrich von Stackelberg complète le modèle de Cournot en introduisant la notion d’asymétrie entre les deux duopoleurs. Les deux entreprises savent qu’elles dépendent l’une de l’autre et vont même jusqu’à postuler qu’elles raisonnent de la même manière. L’asymétrie se constate lorsque l’un des duopoleurs, qui sera appelé pilote, occupe une position de puissance par rapport à l’autre duopoleur, appelé satellite. Si l’une des deux entreprises est pilote, alors elle cherchera à maximiser son profit en tenant compte du comportement productif de l’entreprise satellite en incorporant la fonction de réaction de l’autre duopoleur dans sa propre fonction de profit. Dans d’autres cas, on constate combien les croyances peuvent avoir une influence sur le niveau général de production d’un bien. En effet, si les deux entreprises se croient satellites en même temps, alors elles pensent que l’autre est pilote donc surestiment la quantité totale produite ; au contraire, si les deux entreprises se croient pilotes, alors chacune croit que l’autre est satellite et donc la production totale du bien est plus importante que ce que pensent les deux entreprises. Dans les deux cas, les deux duopoleurs se fourvoient sur le niveau de production globale. Ce déséquilibre peut être, à long terme, source de désinflation voire de déflation.

Bowley : Le modèle duopolistique de Arthur Bowley comprend des considérations beaucoup plus radicales et tranchantes que celles esquissées dans le modèle de Stackelberg. Bowley énonce la situation selon laquelle les deux duopoleurs adoptent simultanément un comportement dit de « maîtrise » en pensant que l’autre duopoleur s’adaptera. Est alors déclarée une « guerre des prix » à cause dans une situation de surproduction. Si aucun des deux dupoleurs ne capitule – pour retomber dans une configuration asymétrique de Stackelberg – alors deux solutions uniques s’imposent : la faillite ou l’entente.

Au-delà de tous ces modèles et théories qui peuvent paraître incompréhensibles ou abscons au premier abord, ce qu’il faut retenir de la triple analyse duopolistique est l’idée que les entreprises ne se comportent pas toutes de la même manière, doivent adapter leur politique à la concurrence, doivent parfois conditionner leurs actions à celles des autres acteurs du marché et peuvent, sur la base de croyances erronées, mésestimer leur profit anticipé. Tous ces efforts à fournir pour maintenir un statut d’oligopoleur en valent pourtant le coup quand de conséquentes parts de marché – et donc de juteux bénéfices et dividendes – sont en jeu.

Finalement, on comprend pourquoi une position oligopolistique sur un marché est une place de choix qui se défend bec et ongles. De plus, dans un contexte mondialisé de compétition et de compétitivité accrues entre les entreprises mais aussi entre les zones géographiques, abanir les mésestimations et anticipations est désormais essentiel pour conserver une position oligopolistique et, espérons-le, abonnir les résultats.