Récemment, plusieurs cantines américaines ont décidé de changer leur organisation : plutôt que de proposer les desserts sucrés (muffins, cookies…) avant les fruits, ils ont décidé de les mettre après. Cela a eu des conséquences étonnantes : les clients de la cantine se sont mis à consommer significativement plus de fruits qu’avant et moins de desserts sucrés. Le simple changement d’ordre de présentation a eu un effet sur les choix des individus.

Ce simple exemple montre à quel point il est facile d’influencer les décisions des individus. Loin de maximiser son utilité dans tous ses choix, l’individu se laisse guider par la manière dont les choix lui sont proposés. Ainsi en changeant simplement la façon de présenter les alternatives, on modifie le choix de l’individu. Cette idée a été mise en avant pour la première fois par Patrick Tahler et Cass Sunstein (Prix Nobel d’économie 2017) dans Nudge: Improving Decisions about Health, Wealth, and Happiness sous le nom de nudge (coup de coude en anglais). Le principe du nudge est qu’il est possible de changer grandement les actions des individus par un simple « coups de coude », c’est-à-dire en lui présentant de manière le choix auquel il a affaire.

Ce principe, aussi simple soit-il a révolutionné les politiques publiques. De plus en plus d’entre elles se font sous la forme de nudge. Leur avantage est qu’elles coutent très peu cher à mettre en place (dans le cas des cantines, il faut juste intervertir deux desserts) et qu’elles ont des effets très importants. Elles sont donc bien plus rentables que beaucoup de politiques traditionnelles. De plus, les nudges ne réduisent pas la liberté des individus comme pourraient le faire les politiques traditionnelles. Plutôt que d’interdire les desserts sucrés dans les cantines pour limiter l’obésité aux États-Unis, il suffit de mettre en place un nudge en changeant l’ordre des deux plats.

On a donc vu fleurir de nouvelles interventions sous forme de nudges dans tous les domaines de l’économie, de la plus simple à la plus farfelue. En voici deux exemples.

Aux Etats-Unis, de nombreux foyers se sont mis à recevoir en plus de leur facture d’électricité un fascicule qui situe leur consommation d’énergie par rapport à leurs voisins, les situant au-dessus ou en-dessous de la moyenne, tout en leur donnant des conseils pour s’améliorer. Cela a entrainé une baisse significative de la consommation d’énergie des foyers.

Plus étonnant encore : aux pays Bas, pour limiter les dépenses d’entretien dans les toilettes, les autorités de l’aéroport d’Amsterdam ont décidé de coller des  stickers en forme de mouches au fond des urinoirs. Aussi étrange que cela puisse paraitre, cela a réduit de 80% les dépenses d’entretien. Étant concentrés à « viser » la mouche pendant qu’ils urinent, les clients de l’aéroport n’arrosent plus les alentours de l’urinoir.

Si cette forme d’intervention est très efficace, elle a cependant été fortement critiquée par certains. Selon les libertariens, en utilisant les nudges on instaure un paternalisme étatique dangereux. Par le biais du nudge, l’Etat influence les décisions d’un individu en présentant de manière non-neutre les choix alors que seules les préférences de l’individu devraient compter.

A ces critiques, le « créateur » du nudge Patrick Tahler répond justement que si l’Etat influence les individus par le nudge, il le fait de manière douce: on n’interdit pas au client de la cantine de manger sucré, on met seulement les fruits en valeur. De plus, il rappelle que la critique libertarienne repose sur le fait qu’avant la mise en place du nudge les choix seraient présentés de manière neutre, ce qui n’est pas le cas. En effet, en quoi cela serait-il plus neutre de mettre les desserts sucrés avant les fruits plutôt que l’inverse ? Il n’existe pas un degré 0 de la présentation qui serait totalement neutre : toute présentation, aussi simple soit-elle, influence l’individu. Si l’on est donc obligé d’influencer les individus, autant les aider à prendre les bonnes décisions. C’est pour cela que Tahler prône un « paternalisme libertarien » à travers le nudge : on donne toute sa liberté au citoyen et on lui présente les choix de manière à ce qu’il soit tenté de faire les meilleurs possibles.

Ce paternalisme a déjà gagné les Etats-Unis où de nombreuses politiques publiques sont mises en place sous forme de nudge. Quant à l’Europe, elle se laisse elle aussi petit à petit séduire et il faut s’attendre à croiser de plus en plus de nudges chez nous…