Le 12 septembre 2019, la Banque Centrale Européenne (BCE) avait annoncé la décision inédite de réduire l’un de ses taux directeurs, pourtant négatif. Associé au taux de refinancement déjà nul, le taux de dépôt – qui rémunère les placements des banques de second rang auprès de la BCE – fut donc abaissé de -0,4% à -0,5%. Pour justifier une telle décision auprès des acteurs économiques, Mario Draghi, ex-président, l’avait présenté ainsi, en conférence de presse :

« Nous prévoyons maintenant que les taux d’intérêt directeurs de la BCE resteront à leurs niveaux actuels ou à des niveaux plus bas jusqu’à ce que nous ayons constaté que les perspectives d’inflation convergent durablement vers un niveau suffisamment proche de, mais inférieur à 2 % sur notre horizon de projection […]. »

Alors que l’inflation en zone euro reste bien en dessous de l’objectif souhaité à 2%, la BCE tente d’accentuer les effets de ses mesures expansionnistes – taux nuls et Quantitative Easing – par le recours à un autre outil non-conventionnel : la forward guidance. Il s’agit de la façon avec laquelle la Banque centrale communique et justifie ses décisions. Par un tel message, l’institution s’adresse ainsi à la « société », composée d’entreprises et de ménages. En principe sensibles aux variations des taux d’intérêt, ces acteurs ajustent leur consommation, épargne et décisions d’investissement à l’avenir. Pour cela, ils prévoient les taux d’inflation, de croissance et d’autres grands paramètres de l’économie qui pourraient se produire à l’avenir. Consciente du comportement des agents, la Banque centrale tente ainsi d’influencer leurs anticipations afin d’accroître les effets de sa politique monétaire, et parvenir à son objectif d’inflation. En zone euro, la BCE défend ainsi sa politique de taux bas et d’assouplissement quantitatif, en prévoyant une hausse des prix. A ce sujet, les agents ont-ils pourtant le même avis ? Ou la communication de l’institution serait-elle à revoir ?

Plus de transparence

En matière de communication, des efforts ont toutefois été réalisés au cours des deux dernières décennies. Dès 1990, le dialecte technique « d’une grande incohérence et peu significatif » des banquiers centraux que décrivait l’ancien président de la Réserve Fédérale Alan Greenspan (1987-2006), irritait les acteurs du marché, et même le grand public – « si vous m’avez compris, c’est que je me suis mal exprimé », ironisait-il en 1988. Afin d’accroitre sa transparence, mais surtout instaurer une relation de confiance avec les agents économiques, la Banque Centrale a donc transformé la manière de communiquer ses décisions monétaires. La définition quantitative de la cible d’inflation, « proche mais en dessous de 2% », proposée par la BCE à sa création, en 1998, est une première mesure de transparence. Aussi, les décisions de politique monétaires sont publiquement annoncées par les banquiers centraux dans le cadre de conférence de presse. A l’issue de ces conférences, un rapport de la politique monétaire est publié. Il contient les projections d’inflation, de croissance ainsi qu’une analyse de la situation économique. Celui de la Fed inclut également les « points bleus » (« blue dots »), qui indiquent l’opinion ou jugement de chacun des membres des gouverneurs (FOMC).

Particulièrement efficace au cours des deux dernières décennies, la forward guidance se confronte actuellement à un nouveau défi : annoncer des mesures non conventionnelles dans un contexte de taux bas.

Communiquer dans un contexte de taux bas

Autrefois utilisée pour annoncer des variations de taux directeurs, la forward guidance est aujourd’hui davantage déployée pour communiquer des mesures non-conventionnelles, autres que la manipulation du taux d’intérêt. Et au lieu d’instaurer un sentiment de confiance, elle amplifierait l’incertitude. Comment ? Pour les économistes Camille Cornand, Frank Heinemann, les banquiers centraux s’exprimeraient trop. L’abondance d’information délivrée à chaque intervention, discours, conférences, désorienterait l’agent économique, pourtant en quête de clarté. Un moyen d’y remédier : limiter le nombre de conférences ouvertes à la presse. Au symposium annuel de Jackson Hole tenu en août 2019, l’économiste Athanasios Orphanides proposait à la Fed d’y limiter le nombre à quatre (huit actuellement). « Quand une politique monétaire est bien appréhendée […], moins de réunions seraient nécessaires pour conduire la stratégie de manière efficace », précise-t-il, dans son document de recherche.

Moins s’exposer, mieux s’exprimer, donc. Afin de réduire l’incertitude liée à l’annonce d’une politique monétaire, Peter Hoffmann, Georg Strasser et d’autres favorisent le long-terme. Dans un article de Voxeu, les économistes de la BCE s’appuient sur les trois formes de forward guidance, également répertoriées dans un bulletin de la Banque de France  : l’annonce « non-limitative » (open-ended) par laquelle la Banque centrale conserverait sa politique pour une période indéterminée ; les annonces « fondées sur des éléments économiques » (data-based) s’appuient sur le contexte économique pour justifier ses décisions monétaires ; et les annonces « fondées sur des éléments temporels » (calendar-based) définissent une date précise d’ajustement de la politique monétaire. Chaque méthode vise à réduire l’incertitude, que les économistes mesurent par la volatilité des taux souverains, à la suite d’une annonce de la Banque centrale. Selon eux, les taux souverains deviennent très volatiles à chaque décision d’ajustement d’une politique monétaire au cours des 18 prochains mois (calendar-based). A l’inverse, celles portant sur des modifications de plus longue durée auraient un effet vertueux sur la confiance des agents. Autrement dit, au lieu d’abaisser successivement leur taux directeurs pour raviver l’inflation, les Banques centrales devraient opter pour une plus grande stabilité en définissant une stratégie de long-terme.

Long terme, stratégie, transparence…Tout juste désignée à la tête de la BCE, Christine Lagarde, peu habituée au dialogue si amphigourique avec les experts, s’est empressée de les mettre en garde à la suite de sa première conférence de presse, le 12 décembre 2019 : « chaque président possède son propre style de communication, et je connais votre avidité à [nous] noter, classer… J’ai mon propre style, mes propres mots, et [vous] demande donc de ne pas les surinterpréter, les anticiper, ou les modifier ».