Au cours de l’année 2019, la posture accommodante des Banques Centrales s’est confirmée. Aux Etats-Unis, les taux fédéraux ont été abaissés à trois reprises par le Président de la Réserve Fédérale (Fed), Jerome Powell, et sont à présent laissés inchangés, à 1,5%. Il s’agit d’une rupture puisqu’ils étaient graduellement élevés depuis 2015. En zone euro, Christine Lagarde, nouvelle Présidente de la Banque Centrale Européenne (BCE) maintient la politique expansionniste entamée par son prédécesseur, Mario Draghi : les taux directeurs nuls voire négatifs sont associés au programme d’assouplissement monétaire entamé en 2015, aussi appelé Quantitative Easing (QE). Par cette mesure dite non conventionnelle, 20 milliards d’euros sont mensuellement injectés dans l’économie de la zone euro à travers le rachat massif de dettes privées et publiques.

Si les décisions monétaires accommodantes de la Fed et de la BCE s’appliquent à des économies américaines et européennes structurellement différentes, les banquiers centraux souhaitent atteindre un objectif commun : raviver l’inflation. A 1,7% aux Etats-Unis et 1,3% en zone euro, les taux d’inflation restent trop éloignés de la cible fixée par les deux institutions monétaires, à 2%, synonyme de la stabilité des prix. Si éloignés que certains économistes et banquiers centraux s’inquiètent de la trajectoire des prix, qu’ils jugent « anormale ».

A l’ère de la New Normal

« L’inflation est curieusement stable pendant l’expansion, ne diminue pas lorsque l’économie faiblit, n’augmente pas non plus lorsqu’elle croît », remarquait M. Powell, lors de son discours prononcé au symposium de Jackson Hole, en août 2019. Il décrivait alors l’une des caractéristiques de la New Normal, reflet des changements actuels de l’économie mondiale. Entamée au lendemain de la crise de 2009, cette période se caractériserait par l’apparition de phénomènes économiques jugés autrefois inconcevables. La persistance de l’inflation faible dans un contexte de plein emploi aux Etats-Unis est un symptôme. Comment expliquer de tels mécanismes ? Le ralentissement économique global, conséquence des tensions commerciales et géopolitiques, est une première cause. Mais au-delà des facteurs conjoncturels, la faiblesse actuelle du niveau des prix serait liée aux changements structurels des économies. La globalisation, par la disparition des barrières douanières et la mise en compétition des producteurs internationaux, a négativement affecté les prix dans les économies avancées depuis les années 1990. Quant à la démographie, les populations vieillissantes dépensent moins et épargnent davantage. Composante essentielle de la demande globale, le déclin de la consommation s’est également répercuté sur le taux d’inflation.

L’ensemble de ces facteurs ont ainsi contribué à considérablement réduire le taux d’inflation, au point de limiter sa réaction à la conjoncture et au taux de chômage. Soucieuses de protéger leur économie des pressions désinflationnistes, Fed et BCE s’alignent ainsi en adoptant une posture accommodante. Est-ce pour autant souhaitable ?

Les taux bas agacent

Conséquences directes de la politique monétaire, les taux bas et l’abondance de liquidité doivent en principe stimuler l’investissement, la croissance et l’inflation. Désormais nuls voire négatifs dans certaines régions du monde, ils agacent plus qu’ils ne réjouissent. A l’image du mémorandum austère à la politique « utra-accommodante » de la BCE, certains académiques et anciens banquiers centraux signalent les effets pervers d’un tel phénomène. A l’origine de faibles perspectives de rendements des placements financiers, les taux faibles pénalisent les épargnants, davantage amenés à « thésauriser » leur épargne. Autrement dit, ils conservent une partie de leur revenu sous forme liquide, plutôt que de le mettre à disposition des entreprises et Etats dont les investissements affectent directement l’économie réelle. Cette situation de “trappe à liquidité” se manifesterait notamment en France: les encours du livret A, compte d’épargne faiblement rémunérateur, ont augmenté de 50 % au cours des huit dernières années, selon la Caisse des Dépôts. La faiblesse du coût de l’emprunt est également propice au développement « d’entreprises zombies », d’après l’étude de l’économiste Viral Acharya. Peu productives, sans perspective d’expansion et particulièrement endettées, ces entreprises survivent grâce au crédit facile. Leur existence nuirait à la compétitivité, au point d’entraver l’innovation émanant des firmes émergentes et productives.

Impuissante face à l’inflation faible, critiquée pour sa posture accommodante, la crédibilité de la Banque centrale est désormais menacée. La politique monétaire aurait-elle atteint ses limites ? Certains économistes considèrent la politique budgétaire comme une solution pour soutenir la croissance et l’inflation. Aux Etats de “prendre le relai en investissant”, avait affirmé le néo-keynésien Larry Summers,  afin d’éviter de sombrer dans « le trou noir de la politique monétaire ». D’autres pensent à adapter le cadre et les missions de la Banque centrale au contexte de la New Normal. « Situer l’objectif plus près de l’inflation d’équilibre, à 1% voire 1,5%, conduirait à une politique monétaire moins expansive », proposait notamment Jacques de Larosière, ancien Gouverneur de la Banque de France.

Face aux critiques et aux recommandations, la Banque Centrale réagira-t-elle ? Depuis janvier 2020, Mme Lagarde a lancé la tenue d’une « revue stratégique » par laquelle elle entend réviser, avec l’ensemble des gouverneurs, les instruments traditionnels de la politique monétaire et élargir son champ d’action. A la stabilité des prix, la présidente de la BCE souhaite notamment y intégrer la préservation de l’environnement. Les conclusions seront rendues « fin 2020 », précise l’institution