LA GUERRE DES MONNAIES

A défaut de déployer l’ensemble des forces armées, une autre forme de guerre sévit actuellement : « la guerre des monnaies ». Il n’y a pas de sang dans cette guerre ci, si tant est qu’on peut la qualifier de « guerre ». C’est un conflit qui dure depuis plusieurs siècles et qui avait contribué à l’aggravation de la crise de 1929. La dévaluation compétitive est une arme facile à utiliser, qui représente un bénéfice d’une importance considérable pour celui qui l’enclenche, mais c’est aussi une attaque pour l’économie de tous les autres pays.

Qu’appelle-t-on la « guerre des monnaies » ?

La « guerre des monnaies », encore appelée « guerre des changes » ou encore « guerre des devises », peut se définir comme le combat que se livrent les pays du monde entier pour être le plus compétitif possible, en menant des politiques économiques, notamment monétaires, qui leur permettent de baisser le niveau de leur monnaie nationale par rapport aux autres monnaies.

Il s’agit en fait de pratiquer la dévaluation compétitive, opération qui consiste pour un pays à abaisser volontairement le taux de change de sa monnaie au-delà de ce qui serait nécessaire pour tenir compte de sa croissance, de sa productivité ou encore de son inflation, ceci afin de favoriser la compétitivité du pays. Ainsi, le fait de dévaluer sa monnaie permet de booster les exportations. En effet, il sera désormais plus facile pour les étrangers d’acheter les produits du pays dont la monnaie est moins chère. Mais l’inconvénient de la dévaluation compétitive est que cela rendra les importations plus onéreuses, et les produits étrangers deviendront plus chers pour les résidents du pays.

Le fait de dévaluer sa monnaie peut ainsi être vu comme une mesure protectionniste. Lorsqu’un pays dévalue sa propre monnaie pour relancer sa compétitivité, cela peut être perçu par les autres pays comme un acte déloyal. Ils sont alors tentés de dévaluer leur monnaie à leur tour, ce qui entraînera une « guerre des monnaies ». Les effets de ce conflit sont multiples : augmentation générale du protectionnisme, déséquilibre du commerce mondial, mais aussi de l’inflation, car pour dévaluer une devise, un pays doit injecter beaucoup de monnaie dans les circuits économiques, ce qui entrainera une augmentation du niveau général des prix.

Quels avantages pour un pays d’avoir une monnaie faible ?

Tout d’abord, cela aura pour effet de favoriser les exportations d’un pays. De plus, les importations deviendront plus chères, ce qui poussera les ménages à consommer local, mais plus cher, ce qui explique pourquoi la dévaluation est une forme de protectionnisme : l’industrie domestique est « dopée », ce qui entrainera une relance de la consommation, de la croissance économique, également une relance de l’emploi et une hausse des recettes publiques.

Qu’est-ce qui fait que la dévaluation est source de conflit international ?

La dévaluation compétitive peut effectivement entraîner des conflits avec le reste du monde dans la mesure où un pays qui va fortement dévaluer sa monnaie va ainsi renforcer son économie au détriment de l’emploi dans les autres pays, qui vont naturellement être tentés de faire la même chose… Cela aura ainsi pour conséquence de créer un déséquilibre du commerce mondial. Pire encore, si tous les pays dévaluent leur monnaie, cela annule les effets positifs de la dévaluation, et il ne restera plus que les inconvénients, à savoir une hausse mondiale des prix dû à la création monétaire massive. Et l’inflation non maîtrisable sera source d’hyper-inflation, qui peut pousser à la révolte sociale, et peut aussi conduire à la « vraie guerre ».

Selon de nombreux économistes, il y aurait de bonnes raisons de s’inquiéter d’une nouvelle guerre des monnaies car l’expérience de la crise de 1929 suggère que les conflits de taux de change peuvent être plus dangereux que les dépressions sévères, par les pressions protectionnistes qu’elles entrainent.

Qui participe à cette « guerre » ?

Parmi les pays qui maintiennent artificiellement leur monnaie à un niveau relativement bas, alors que leur économie se porte relativement bien, il y a la Chine, qui dévalue le yuan, que l’État contrôle. C’est le cas d’autres pays asiatiques comme Singapour ou Hong Kong. On retrouve également dans la liste des pays qui font en sorte que leur monnaie ne soit pas trop forte, les pays producteurs de pétrole et de gaz, comme l’Arabie saoudite ou la Russie. Pour d’autres raisons, la Suisse, avec le franc suisse très recherché car considéré comme très sûr, intervient également pour protéger son économie. Le Japon a aussi récemment fait chuter sa monnaie, le yen, de manière significative pour enfin sortir son économie de sa « trappe à liquidités ». En effet, depuis plus de 20 ans, le pays du soleil levant connait une stagnation de la croissance, et subit une déflation destructrice de richesse. Tokyo a ainsi réenclenché un début de « guerre des monnaies ».

Le clivage USA-Chine

La plus importante guerre des changes oppose la 1ère puissance mondiale, et la deuxième (qui ne devrait d’ailleurs pas tarder à devenir première…). Ce conflit se situe donc entre les États-Unis et la Chine, les premiers reprochant à la seconde de maintenir sa monnaie sous-évaluée. Mais les américains sont quant à eux soupçonnés de chercher à répondre par la dévaluation involontaire du dollar. Cependant, c’est l’ensemble des États qui sont affectés par la sous-évaluation des monnaies des deux principaux acteurs économiques mondiaux.
Avec l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche, les critiques des Etats-Unis envers la sous-évaluation de la monnaie chinoise se sont accentuées. Toutefois, même si à plusieurs reprises la Chine a volontairement déprécié la valeur du yuan pour stimuler ses exportations, ces critiques manquent néanmoins de pertinence depuis l’appréciation du yuan à partir de 2015.

La « guerre des monnaies » est ainsi revenu sur le devant de la scène en 2017 du fait des déclarations, souvent contradictoires, du président américain qui a accusé la Chine mais aussi l’Allemagne de bénéficier de monnaies sous-évaluées pour favoriser leurs exportations. Toutefois, dans les faits, les pays adoptent régulièrement des politiques d’ajustement monétaire en fonction de la situation de leurs économies.

Les dévaluations compétitives sont en réalité monnaies courantes depuis la fin des Accords de Bretton Woods (convertibilité or-dollar) en 1971, même si certaines périodes ont été bien plus marquées.