Qui, dans sa scolarité, n’a jamais pris officiellement part à un travail de groupe, n’y a concrètement nullement participé, mais a pourtant récolté la même note que ses camarades grâce au travail de ces derniers ? Vous ne le savez sûrement pas mais nous avons presque tous été, au moins à un moment de notre vie, un « passager clandestin » ! En sciences économiques et en sociologie, le passager clandestin (ou « free rider ») est celui qui veut bénéficier d’un service gratuitement en faisant assumer les coûts par les autres. Ici, la notion de gratuité et de coût est à prendre au sens large : argent, effort, risque, temps…

Origine de l’expression

En 1965, Mancur Olson (1932-1998), socio-économiste américain, invente cette notion de « free-rider » dans son ouvrage Logique de l’action collective (1965). Il y développe une réflexion essentielle sur la rationalité à l’œuvre dans l’action collective, en mettant dans la balance les coûts et les avantages qui peuvent découler de l’action des individus dans la société. Il en tire son célèbre paradoxe du passager clandestin : un acteur rationnel a intérêt à profiter d’une action collective sans y participer.

Mécanismes à l’œuvre

Le « jeu du bien public » est un classique de l’économie expérimentale et illustre bien la théorie du passager clandestin.

Considérons 10 joueurs possédant chacun 10 jetons. La valeur d’un jeton est égale à 2€ s’il est conservé par son propriétaire, mais vaut 1€ pour chaque joueur s’il est placé dans un pot commun. Ainsi, si tout le monde garde ses jetons, chaque joueur possède 20€ ; si tout le monde place ses jetons dans le pot commun, la valeur du pot correspond à 100 € par personne. Dans ce cas précis, il est préférable de mettre les jetons en commun pour bénéficier d’une richesse collective plus grande : 2000€ contre 200€. Mais il est tentant pour les joueurs de garder leurs jetons et de parier sur la générosité des autres participants, ou bien d’anticiper que ces derniers ne placeront pas leurs jetons dans le pot commun et ainsi garder les siens pour ne pas être lésé. L’intelligence rationnelle du passager clandestin est donc de trouver la meilleure stratégie individuelle vis-à-vis du positionnement collectif.

Le phénomène de passager clandestin induit, par ailleurs, une réflexion importante sur l’impact de la taille et de la composition d’un groupe dans la poursuite d’un intérêt collectif. Plus le groupe est grand et composé d’une multitude d’acteurs de petite taille, moins il sera de nature à trouver en son sein les forces pour engendrer une action collective, chacun de ses membres se défaussant sur les autres pour l’assurer. A l’inverse, un groupe de taille importante peut devenir efficace s’il inclut des membres beaucoup plus puissants, susceptibles de ressentir une perte substantielle au cas où le service ne serait pas rendu et qui, en conséquence, sont prêts à consentir aux efforts nécessaires pour en profiter. Et donc en faire profiter les autres…

Exemples

  • En entreprise

Une traduction immédiate de cette logique de groupe s’applique à la composition de l’actionnariat d’une entreprise. S’il est très dilué, aucun actionnaire ne fournira les efforts nécessaires à l’obtention des informations permettant de savoir si les dirigeants agissent bien en fonction de l’intérêt des actionnaires. François Pignon, dans le film L’Antidote, est à cet égard l’exception qui confirme la règle ! En revanche, la présence d’actionnaires puissants – dont l’intérêt à la bonne conduite des affaires est majeur – fournit la garantie que l’effort sera consenti au bénéfice de l’ensemble.

  • En sciences économiques

L’exemple le plus évident est celui du resquilleur des transports en commun : il ne paye pas son billet, et se repose donc sur l’honnêteté des autres passagers, qui assurent ainsi le fonctionnement de ce service public.

  • En finance

Exemple d’un investisseur qui ne participe pas à un plan de restructuration financière d’une entreprise : il attend que les autres parties prenantes consentissent des efforts, voire des sacrifices (abandon de créances par exemple) pour ensuite profiter du sauvetage de la société et faire valoir ses « droits de propriétaire ».

  • En sciences sociales

Dans son livre, Mancur Olson prend l’exemple du syndicalisme : si tous les travailleurs sont in fine bénéficiaires des avantages obtenus par les syndicats, certains peuvent considérer qu’il n’y a pas d’intérêt à s’y affilier ou à cotiser, car il suffit – sans s’engager, ni payer – de récolter les fruits résultant des actions que ces organisations pourront mener. En d’autres termes, cette majorité silencieuse laisse faire le travail de confrontation et de négociation par une minorité active, mais entend bien après coup, bénéficier des retombées obtenues.