« Le Conseil des gouverneurs prévoit désormais que les taux d’intérêt directeurs de la BCE resteront à leurs niveaux actuels au moins jusqu’à la fin de 2019 (…) », annonçait Mario Draghi le 7 mars lors de la conférence de presse qui suivait la réunion du Conseil des gouverneurs de la Banque Centrale Européenne (BCE). Si la BCE communiquait jusqu’à présent sur une hausse des taux au troisième trimestre 2019, l’échéance est maintenant repoussée au premier trimestre 2020.

Depuis qu’elle a décidé de baisser ses trois taux directeurs en mars 2016, en réponse aux conséquences économiques et financières de la crise de 2008, ceux-ci sont restés inchangés à un niveau bas. Pourtant, de son côté, la Fed a déjà entamé la normalisation de sa politique monétaire, c’est-à-dire la remontée de ses taux. La banque centrale américaine avait choisi de les abaisser au moment de la crise financière, en décembre 2008.

Mais sa première remontée des taux s’est faite plus rapidement : en 2015. Ensuite, la Fed a graduellement augmenté ses taux, à neuf reprises, dont quatre fois en 2018. Pourquoi alors la BCE ne remonte-elle pas ses taux, sur le modèle de la Fed ?

La “surchauffe” des Etats-Unis

Pour le savoir, il faut déjà jeter un œil à la position qu’occupe aujourd’hui la zone euro dans le cycle économique, en comparaison à celle des États-Unis. En fonction de la position de l’économie dans le cycle, les Banques Centrales définissent les taux d’intérêt adéquats afin d’atteindre leurs objectifs : la stabilité des prix pour la BCE, la stabilité des prix et le plein-emploi pour la Fed. Compte tenu de la situation économique actuelle de la zone euro, il n’apparait pas optimal pour la BCE d’augmenter, à ce jour, ses taux.

Actuellement, l’économie américaine connaît une « surchauffe » qui génère des tensions au sein de l’économie. On les observe au travers d’un taux de chômage particulièrement faible (3,7% en 2018 et à 3,5% en 2019, selon les estimations de la Fed), à des niveaux proches de ceux du plein-emploi. Ainsi, l’inflation sous-jacente (la hausse des prix sauf prix de l’énergie et de l’alimentation) s’approche de l’objectif des 2%, qui devrait être atteint en 2019. Dans ce contexte, la Fed se devait de resserrer sa politique monétaire.

En zone euro : une inflation trop éloignée de l’objectif

On ne peut pas en dire autant de la zone euro. Les chiffres de l’inflation, dont dépendent majoritairement les décisions monétaires de la BCE, ne permettent pas une hausse des taux d’intérêts. L’inflation sous-jacente atteint seulement 1% en 2018 et les projections de la BCE sont à des niveaux largement inférieurs à son objectif de 2%. Une hausse des taux dans ce contexte économique apparaît inappropriée.

À y regarder de plus près, la conjoncture économique mondiale montre aussi qu’il ne serait pas optimal pour la BCE de normaliser ses taux immédiatement. On observe en effet un ralentissement de l’économie mondiale en lien avec une hausse de l’incertitude.

Un constat partagé par les acteurs économiques

Dans ce contexte, plusieurs organisations économiques ont récemment abaissé leurs prévisions de croissance. En mars 2019, la BCE a revu à la baisse ses prévisions de taux de croissance pour la zone euro de respectivement -0,6 point de pourcentage en 2019 et -0,1 point de pourcentage en 2020. L’OCDE a aussi décidé de diminuer de -0,2 point de pourcentage sa prévision de la croissance mondiale pour 2019, par rapport à sa précédente estimation de novembre 2018.

Le 7 mars, Mario Draghi a expliqué ce « net ralentissement » par la « persistance des incertitudes ». Le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, qui devait normalement prendre effet le 29 mars 2019 mais pour lequel l’accord est toujours en discussion, et la politique commerciale menée actuellement par Donald Trump, qui vise à menacer ou à mettre en œuvre des augmentations de droit de douane, apparaissent comme les deux sources d’incertitudes majeures pour l’économie européenne.

Dans ce contexte, une hausse des taux de la BCE pourrait donc fragiliser l’économie. On comprend mieux pourquoi la BCE se fait patiente, même si des taux très bas trop longtemps n’est pas sans risque pour l’économie.

Naomi Cohen