Il est assez intriguant de voir qu’en France, les liens entre le droit et l’économie sont assez peu étudiés. On peut sentir que, par exemple, le droit des affaires et le droit fiscal ont une importance majeure sur la vie d’une entreprise. Cependant, on ne cherche que rarement à analyser si l’effet d’une réforme est positif ou négatif, dans quelle mesure les entreprises en bénéficient, ou si des mesures plus efficaces existeraient. Les Américains ont été plus consciencieux que nous en la matière. En effet, ils ont développé une école d’analyse économique du droit, qui nous apporte un certain nombre d’enseignements.

Quels sont les liens entre le droit et le développement de l’activité économique ?

1. Quand le droit permet l’entreprise

Un premier effet majeur du droit est de permettre la création d’une entreprise. Lors de la Révolution, une des premières libertés fondamentales à avoir été proclamées est la liberté du commerce et de l’industrie[1]. Antérieurement à ce texte, une personne n’avait pas le droit d’exercer librement une profession commerciale ou artisanale du fait du contrôle des toutes puissantes corporations. Celles-ci ont d’ailleurs été abolies cette même année 1791[2]. Postérieurement à ces normes, toutes les professions ont été accessibles à toute personne[3].

La loi offre également les instruments juridiques et financiers nécessaires au développement d’une entreprise. Prenons l’exemple de la propriété immobilière. Le fait d’avoir un système de publicité foncière bien tenu est un élément essentiel au développement d’une économie. On pourrait cependant s’interroger : en quoi savoir que la maison en face de vous appartient à Madame Michu peut avoir un quelconque impact sur l’activité économique ? Il faut aller chercher du côté des banques pour en comprendre l’importance. Si vous souhaitez créer un commerce ou une activité industrielle, il est très probable que vous ne disposiez pas de tous les fonds nécessaires. Vous pourriez alors vous tourner vers une banque pour obtenir un prêt. Celui-ci risque de s’élever à plusieurs dizaines de milliers d’euros, voire à plusieurs centaines de milliers. En contrepartie, la banque exigera de vous des garanties que les juristes appellent des sûretés. Sur des sommes pareilles, la meilleure façon de se garantir est de constituer une hypothèque : une sûreté portant sur un de vos biens immeubles. On revient là à notre élément central : vous ne pouvez pas offrir de garantie si vous ne pouvez pas prouver que vous êtes propriétaires du bien immeuble. Donc, avoir un cadastre bien tenu permet d’avoir accès au crédit, puis de créer une entreprise.

L’Égypte est un exemple concret : les droits de propriété immobilière sont mal identifiés. Il en résulte de grandes difficultés à accéder au crédit bancaire. La conséquence immédiate est un faible nombre de créations d’entreprises.

2. Quand le droit protège l’entreprise et l’entrepreneur

Le droit offre un instrument formidable au service des entrepreneurs : la responsabilité limitée. C’est une caractéristique de la plupart des sociétés commerciales (SARL, SA, SAS…) qui protège l’entrepreneur qui a investi dans son projet, ainsi que les autres investisseurs. Le principe est simple : imaginons que vous ayez investi 100 dans une société. Celle-ci fait faillite et subit une liquidation judiciaire. Les dettes sont importantes : elles s’élèvent à 300. Les créanciers de la société vont commencer par obtenir remboursement en prenant les 100 que vous aviez investi. Il leur restera alors 200 de dettes qui n’auront pas été remboursées. Là intervient la magie de la responsabilité limitée : ils ne pourront pas se tourner vers vous, entrepreneur et investisseur, pour en obtenir remboursement. Votre responsabilité est limitée à votre mise initiale. Ce mécanisme a permis de soulager les entrepreneurs et les investisseurs de la peur d’être poursuivis sur leur patrimoine personnel : l’économie et l’investissement en ont été dopés.

Autre mécanisme essentiel, le droit des contrats assure le maintien de la confiance entre acteurs économiques. Cette dernière est fondamentale : il y a fort à parier que vous ne voudrez pas avoir de relations commerciales avec une personne dont rien ne vous garantit qu’elle vous paiera ou exécutera correctement sa prestation… En donnant une force obligatoire à un engagement, le droit des contrats permet d’établir un bon degré de confiance, même entre personnes qui ne se connaissent pas. Cette force obligatoire est garantie par l’existence d’un juge, qui assure l’effectivité de ces actes juridiques.

Le droit et l’économie évolue donc main dans la main pour permettre le développement d’un État. En pratique, l’économie évolue souvent plus vite que le droit. Celui-ci doit alors s’adapter à la situation pour la réguler au mieux.

[1] Elle a été proclamée en 1791 par le décret d’Allarde des 2 et 17 mars 1791.

[2] Elles ont été abolies par la loi Le Chapelier du 14 juin 1791.

[3] Il existe des exceptions, par exemple liées à une exigence de formation. Ainsi, il est de bon ton que votre médecin ait suivi des études de médecine, ou votre avocat des études de droit…