LES PETROYUANS : VERS LA FIN DES PETRODOLLARS ?

Pour la première fois depuis le début des années 1970, des transactions pétrolières vont être libellées dans une autre monnaie que le dollar américain. C’est le yuan chinois qui s’est en effet substitué au dollar, et qui sera désormais convertible en or à la banque centrale de Hong Kong.

L’idée avait déjà été envisagé en 1993, sans succès.

La Chine, qui l’année dernière a dépassé les États-Unis pour devenir le premier importateur de pétrole au monde, s’apprête en effet à lancer ses premiers contrats pétroliers libellés non plus en dollar, mais en yuan.

C’est ainsi qu’après des décennies d’hégémonie américaine, la Chine est sur le point de porter un coup d’une importance considérable à la domination mondiale du dollar américain.

Mais il convient en premier lieu de rappeler quelques définitions ainsi que quelques évènements clés qui ont marqué le commerce du pétrole depuis la fin des Trente glorieuses.

Tout d’abord, qu’est-ce qu’un pétrodollar ?

Un pétrodollar, représente tout simplement un dollar gagné par un pays exportateur de pétrole, à chaque vente de pétrole. Les pétrodollars correspondent donc aux stocks de dollars dont tous les pays disposent afin de pouvoir effectuer leurs transactions pétrolières. Cette expression fût utilisée pour la 1ère fois en 1973 par le professeur Ibrahim Oweiss, au moment du choc pétrolier dû à la restriction de l’offre des pays de l’OPEP (Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole), suite au soutien américain à Israël lors de la guerre du Kippour.

Pour comprendre l’origine et le sens des pétrodollars, il faut remonter en 1972, soit un an après la fin des accords de Bretton Woods, qui mettait fin à la convertibilité or-dollar. C’est en cette période que les Etats-Unis sous la présidence de Richard Nixon, allait devenir la plus puissante nation et désormais seule superpuissance au monde, principalement grâce au tout-puissant dollar. En effet, l’administration Nixon et la dynastie Saoud trouvèrent un accord dans le cadre de la Commission arabe conjointe américano-saoudienne sur la coopération économique, décidait par le secrétaire d’état américain Henry Kissinger, et qui allait désormais fournir une protection militaire et un soutien technique américain à l’Arabie Saoudite, en échange de quoi « le Royaume » s’engageait à n’accepter seulement des règlements en dollars pour ses exportations pétrolières.

Peu de temps après l’accord entre les États-Unis et le gouvernement saoudien, les autres pays de l’OPEP décidèrent de fonctionner selon le même principe et depuis cette date toutes les transactions pétrolières se font en dollars. Le standard pétrolier était devenu celui du dollar.

Autrement dit, si vous voulez acheter du pétrole, vous devez d’abord acheter des dollars !

Les autres pays traitent les dollars comme l’or, ils les achètent et les accumulent, parce que sans dollars, ils ne peuvent pas acheter de pétrole.

Ce système permet à l’administration américaine de contrôler avec efficacité le marché pétrolier mondial.

Quels avantages pour les Etats-Unis ?

Les pétrodollars constituent l’un des piliers de la puissance économique de l’Amérique, car ils créent une demande externe importante en dollar, ce qui permet aux États-Unis d’accumuler des dettes énormes sans défaut.

En effet, ce système, qui fait du dollar la monnaie de réserve pour les échanges pétroliers a pour conséquence de maintenir la demande en dollars extrêmement forte. Cela permet aux États-Unis d’émettre des dollars à un coût quasiment nul pour financer des dépenses militaires plus importantes ainsi que la consommation de produits d’importations. Il est possible, en théorie, d’émettre des dollars en quantité illimitée. Tant que les États-Unis n’ont aucun rival et aussi longtemps que les autres pays font confiance au dollar, le système se perpétue.

En résumé, le Trésor américain peut donc émettre de la monnaie en quantité illimitée et acheter du pétrole : une prérogative unique par rapport aux autres pays…

De plus, Nixon persuada les pays de l’OPEP d’investir massivement dans des bons du trésor et des obligations américaines, dans un seul but : la réduction de la balance commerciale, qui était fortement déficitaire, dans la mesure où les pays de l’OPEP exportaient beaucoup de pétrole mais présentaient une faible demande interne, et consommaient très peu…

Ainsi, les pays de l’OPEP ont ensuite réinjecté ces pétrodollars dans l’économie américaine !

CONCLUSION : aussi longtemps que le pétrole des pays exportateurs était libellé en dollar, et aussi longtemps que ces mêmes pays investissaient leurs dollars dans des placements du gouvernement américain, les Etats-Unis bénéficiaient d’un double prêt. Premièrement : le pétrole. Le gouvernement américain pouvait émettre des dollars pour payer le pétrole, ce qui dispensait l’économie américaine de produire des biens et des services en échange du pétrole des pays de l’OPEP, jusqu’à ce que ces derniers achètent des biens et des services avec ces dollars.

La condition sinéquanone pour que cette opération fonctionne est que seul le dollar soit utilisé pour les transactions pétrolières.

Deuxièmement : toutes les autres économies étaient désormais contraintes de payer leur pétrole en dollars mais sans avoir la possibilité d’en émettre, et donc dans l’obligation d’échanger leurs biens et services contre des dollars afin de pouvoir acheter du pétrole à l’OPEP !

C’est ce contexte qui a servi de base essentielle à l’hégémonie économique des États-Unis depuis les années 1970.

Vers la fin des pétrodollars ?

De nouveaux évènements ont entrainé une sérieuse remise en question de la pérennité de l’hégémonie du dollar américain : le traité de Maastricht instituant l’Union Economique et Monétaire, la chute de l’URSS, mais aussi et surtout, la création d’une monnaie unique en Europe. Mais ce sera finalement la Chine, qui a connu une ascension économique fulgurante ces deux dernières décennies, qui se voit l’immense opportunité de mettre fin au règne de la devise américaine, et qui a lancé ses premiers contrats à terme sur le pétrole brut en Mars 2018, évalué en yuan et convertible en or à la Banque centrale de Hong Kong.
L’Iran, ennemi de longue date des Etats-Unis, avait commencé à accepter de vendre son gaz et son pétrole en yuan déjà en 2012, suivi par la Russie en 2015. Puis, le 15 septembre 2017, le Venezuela a ensuite fait de même, en réponse aux sanctions financières de la Maison Blanche contre Caracas. Le nouvel indice devrait en effet permettre à ces derniers d’éviter les sanctions américaines en vendant du pétrole en yuan.

En supposant que les fournisseurs d’énergie préféraient payer en or et non pas en yuans, ce qui ne poserait a priori aucun problème, cette nouvelle triade pétrole-yuan-or serait alors une victoire absolue. L’essentiel réside dans la possibilité de contourner le dollar, mais aussi de contourner les sanctions américaines.

Les projets chinois sont ainsi en train de se concrétiser, 25 ans après qu’a été formulée l’idée de réunir les conditions nécessaires pour le développement du pétroyuan, en 1993.

La fin de la toute-puissance du dollar américain a été l’essentiel du message de Vladimir Poutine lors du sommet des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) à Xiamen.

« La Russie partage les inquiétudes des pays BRICS face à l’injustice de l’architecture financière et économique mondiale, qui ne tient pas compte du poids croissant des économies émergentes. Nous sommes prêts à travailler avec nos partenaires pour promouvoir les réformes de la réglementation financière internationale et surmonter la domination excessive d’un nombre limité de monnaies de réserve ».

La transformation du yuan en pétroyuan durera toutefois de nombreuses années, et c’est cette métamorphose qui va permettre aux industries chinoises de s’adapter aux nouvelles réalités.

Certains plus pessimistes maintiennent malgré tout que l’hégémonie du dollar est loin d’être remise en question.

La Chine est-elle sur le point de réussir là où le Colonel Kadhafi a échoué ?

A noter que le premier grand dirigeant à avoir voulu s’opposer à effectuer des transactions pétrolières en dollars a été Saddam Hussein, en Novembre 2000, et décidait que l’Euro deviendrait désormais la monnaie utilisée pour les transactions pétrolières de l’Irak. En 2003, les Etats-Unis envahissaient l’Irak, prenaient le contrôle du pétrole irakien, et deux mois seulement plus tard, les transactions pétrolières irakiennes étaient à nouveau libellées en dollars. Depuis, trois grands dirigeants ont proposé de modifier ce système, qui n’était selon eux profitable qu’aux américains : le Colonel Kadhafi, Christophe de Margerie (ancien PDG de Total, décédé dans d’étranges circonstances lors d’un accident d’avion en Russie…), et Dominique Strauss Khan.

Vu le destin tragique qu’ont subi ces dirigeants, on ne peut que souhaiter bonne chance à Xi Jinping !