En zone de turbulence. Depuis février 2020, les marchés d’actifs occidentaux, des actions aux obligations en passant par les devises, évoluent au rythme de l’épidémie et des mesures budgétaires et monétaires déployées par les autorités. Mais les milliers de milliards d’euros et de dollars injectés par les Etats et les banques centrales ne permettront sans doute pas d’éviter le scénario d’une récession mondiale, devenu consensus dans la tête des économistes et organisations internationales. Dans un contexte inédit d’arrêt des chaines de production mondiales, les entreprises sont en première ligne. Petites, grandes, moyennes, elles subiront toutes une perte à laquelle certaines ne pourront résister en raison de leur fragilité financière. Au-delà du risque de faillite, au moins 10% des entreprises américaines, selon l’agence de notation Standard & Poor’s, 3,1% en temps normal- feront défaut, ou seront incapables de rembourser leur dette. Ce scénario, plusieurs investisseurs s’y préparent, en s’orientant vers un actif financier bien spécifique, le CDS.

Se prémunir contre le risque

Au format similaire à celui d’un contrat d’assurance, ce produit dérivé protège son détenteur d’une défaillance. Comment ? Trois acteurs y sont associés. L’émetteur – Etat ou entreprise- s’endette par l’émission d’obligations. Ces titres de dettes peuvent être librement acquis par un détenteur, régulièrement rémunéré par un coupon, jusqu’à ce que son titre arrive à maturité, moment auquel l’émetteur lui retourne entièrement la somme prêtée. Encore faut-il que ce dernier en ait les moyens. A la situation financière fragile, l’entreprise peut faire défaut et ne jamais rembourser ses créanciers. Pour s’y prémunir, le détenteur s’oriente alors vers un assureur avec lequel il s’accorde sur un contrat d’assurance portant sur l’actif, appelé ici sous-jacent. Régulièrement, le détenteur paye une prime d’assurance – ou cotisation- jusqu’à ce que l’aléa ait lieu. Dans ce dernier cas, l’assureur s’engage à dédommager le détenteur en lui remboursant exactement la valeur du sous-jacent. Au cours de ce processus, la prime, ou plutôt appelée « spread » constitue l’indicateur le risque d’une entreprise de faire défaut. Calculée par l’écart entre le rendement du sous-jacent et celui d’un actif de référence, elle permet de comparer le degré de risque par rapport à celui d’un actif certain. Le rendement du bon allemand à dix ans est notamment une référence. Ainsi, imaginons une obligation d’une entreprise quelconque à 5 ans d’une valeur de $100, et dont le spread s’élève à 225 points de base (2,25%). Pour l’assurer, son détenteur devra payer chaque année à son assureur $2,25. Sans défaut au cours des cinq années, le détenteur aura ainsi payer 5 x $2,25 = $11,25 à sa contrepartie. A l’inverse, si l’aléa a lieu dès la première année, c’est à l’assureur de retourner au détenteur la valeur de l’obligation, ou $100. Ignorant l’aspect temporel, le détenteur estime alors à 11,25% la probabilité de l’entreprise de faire défaut. Une hausse de la valeur du spread révèle ainsi une plus crainte d’un défaut de paiement.

Junk bonds

L’atmosphère anxiogène de la crise des dettes souveraines de 2012 a rendu ces actifs particulièrement attractifs. La situation financière de certains pays membres de la zone euro, tels que l’Italie, le Portugal, la Grèce ou encore l’Espagne inquiétait les investisseurs. A l’image de la dette publique à 177% de son PIB et d’un déficit supérieur à 13%, la Grèce avait alors plus de 94% de chance de faire défaut sur ses titres de dettes. De quoi éveiller le marché des CDS, dont le spread dépassait 1500 points de base à cette période, selon une étude réalisée par Bryan Noeth et Rajdeep Sengupta. Ce phénomène a été amplifié par les changements d’exigences des assureurs : pour obtenir un CDS, la détention du sous-jacent n’était pas nécessaire. Ce contrat, appelé « CDS à nu » permettait ainsi aux détenteurs d’être dédommager sans supporter le risque.

Neuf ans plus tard et avec cette pratique de CDS à nu désormais interdite, ce même marché s’enflamme de nouveau. L’indice « ITraxx Europe », qui synthétise le spread des 300 entreprises européennes jugées risquées, a atteint 380 points de base en mars 2020, son plus haut niveau depuis juin 2016. L’un des principaux critères du risque est la note qu’attribuent les agences de notations aux titres de dettes : en dessous de ‘B’, elles deviennent des « junk bonds », ou financièrement vulnérables et doivent alors s’endetter à un taux plus élevé. Il s’agira alors d’un choc pour certaines sociétés dites « zombies ». Particulièrement endettées et aux retours annuels sur investissements insuffisants pour couvrir les frais financiers, elles bénéficiaient jusqu’à maintenant des coûts d’emprunts moyens inférieurs à 1%, notamment favorisés la politique de taux bas de la Banque Centrale Européenne. Entre 2012 et 2016, la part de ces firmes en zone euro se serait élevée de 2 points, à 6,5%, selon l’économiste Viral Acharya.

Aux Etats-Unis aussi, les agences de notations s’inquiètent. L’une des principales, Standard & Poors, compte dégrader la note de certaines sociétés, à « l’activité directement affectée par le coronavirus, […] et en manque de flexibilité face à un choc », telles que les compagnies aériennes, mais aussi les producteurs pétroliers, indiquait-elle dans son rapport du 20 mars 2020. Et sur son degré de confiance quant à l’avenir de l’économie mondiale ? Quoiqu’il en soit, « la durée de l’épidémie aura des effets critiques pour le risque du crédit », a conclu l’institution.