La mécanique de la chute est en marche. Le coronavirus, épidémie désormais mondiale originaire de Chine, bouleverse les rouages de l’économie mondiale et accroît la menace d’un retournement. Face au risque de crise, les banquiers centraux sont en première ligne. Garants de la stabilité économiques et financière, leurs mesures sont particulièrement attendues pour rassurer un monde qui se retourne. En zone euro, la pression repose particulièrement sur Christine Lagarde qui affronterait alors sa première crise, à la tête de la Banque Centrale Européenne (BCE), institution en perte de crédibilité.

The Only Game in Town

Le choc est bien présent, et menaçant. Les entreprises restreignent leur production, tandis les secteurs liés au service – tourisme, hôtellerie, compagnies aériennes- souffrent de l’inquiétude des agents, qui limitent leur déplacement. En réaction aux chocs économiques, plusieurs organisations internationales ont révisé à la baisse leur prévision de croissance du PIB mondial pour les années suivantes – l’OCDE prévoit désormais 2,4% de croissance en 2020, au lieu de 2,9% annoncé en novembre 2019. Mais à la différence du scénario de 2008, ce choc n’émane pas du craquement du système financier, mais de la diffusion exponentielle d’une maladie, à l’origine de l’incertitude. A la perte de confiance, s’ajoute aussi la guerre des prix du pétrole entre l’Arabie Saoudite et la Russie. De quoi amplifier la volatilité déjà bien répandue sur les marchés d’actifs. Autre préoccupation au sujet de ce choc : l’état actuel des autorités publiques, et notamment des Banques centrales. Depuis une décennie, ces institutions auraient épuisé « de manière inefficace » leur marge de manœuvre, selon Mohamed El-Erian. Dans une tribune rédigée pour le Financial Times, le 9 mars 2020, l’emblématique économiste d’Allianz fustigeait les « baisses successives de taux et les injections monétaires massives », déployées par les banquiers centraux dans un contexte pourtant peu alarmant. Autrefois considérées comme « l’unique solution » -« The Only Game in Town », titrait El-Erian (2016)-, ou seul remède évident à tout choc économique, ces institutions se montrent désormais impuissantes pour soutenir la croissance et l’inflation face au ralentissement économique global.

Alors qu’en est-il face à une crise ? A l’heure du coronavirus et de la dégringolade des marchés financiers, les banques centrales s’activent. Le 3 mars 2020, la Réserve Fédérale américaine lance les hostilités, en annonçant une baisse surprise de son taux fédéral, de 1,5% à 1%. Jerome Powell, son président, s’était engagé à recourir aux instruments monétaires « de manière appropriée » pour soutenir l’économie et les entreprises. Le même jour, la Reserve Bank of Australia abaissait son taux directeur de 0,25 points. Enfin, la semaine suivante, la Banque d’Angleterre a annoncé une série de mesure inédites pour répondre à l’incertitude. Inchangé depuis août 2018, le taux bancaire a été abaissé de 0,5 points (0,75% à 0,25%), tandis qu’un programme de financement de long terme a été déployé pour soutenir les PME.

A court de munition ?

Seule une institution n’a pas encore agi : la BCE. Déjà impuissante pour raviver l’inflation et la croissance en zone euro, sa présidente, Christine Largarde, devra être créative pour répondre à un tel choc. Depuis son arrivée, elle a maintenu la posture accommodante fixée par son prédécesseur, Mario Draghi. Aux taux directeurs nuls voire négatifs, l’ancien dirigeant avait entamé en 2015 un programme inédit de rachat massif de dettes privées et publiques en zone euro, aussi appelé Quantitative Easing (QE). Avec des taux historiquement bas associés à une mesure inconventionnelle déjà bien déployée, que peut-on faire de plus ?

Réduire des taux déjà négatifs peut paraître insensé, d’autant que leur niveau exacerbe certains secteurs clés de l’économie. Depuis 2014, les banques se plaignent de la faiblesse du taux de dépôt, qui rémunère leurs placements auprès de la BCE, « politique loin d’être efficace », selon le Président du conseil d’Administration de la Deutsche Bank, Karl von Rohr. A -0,5% actuellement, il s’apparente à une taxe, que les établissements bancaires répercutent sur les comptes des épargnants. Une alternative serait de renforcer le QE, en injectant davantage de monnaie à travers le marché obligataire. Seulement, l’institution aurait atteint la limite de dette qu’elle peut acquérir pour certains Etats (30%), fixée ex-ante. Orienter cette politique vers le rachat de bons privés serait alors une possibilité. Mais il s’agirait surtout de répondre aux véritables fragilités du système : la santé des PME. Financièrement vulnérables, certaines ne peuvent pas survivre longtemps à un tel choc et son prolongement. Parmi les outils monétaires disponibles, les LTROs (Long Term Refinancing Operations) sont une option. Cet instrument permet aux banques de second rang de bénéficier des prêts accordés par la BCE pendant des périodes plus longues et à des taux faibles – échéance allant de trois à quatre ans. De quoi, en principe, soulager les établissements bancaires, disposés à octroyés des prêts de plus longues durées aux agents économiques. Une première vague avait notamment été déployée en 2014, permettant aux banques de se refinancer gratuitement avec une échéance de quatre ans. Pour Mario Draghi, le déploiement d’un tel instrument aurait contribué à réduire le taux de chômage en zone euro : en 2020, 11 millions d’emplois supplémentaires ont été créés en six ans.

LTROs, QE, taux bas… la BCE se trouve dans une situation inextricable pour surmonter un phénomène inédit. A Christine Lagarde de choisir, ou d’inventer. Arrivée à la tête de la BCE en décembre 2020, elle a, jusqu’à présent, maintenu la politique de son prédécesseur, Mario Draghi. Devrait-elle aussi s’en inspirer ? Alors que la zone euro croulait sous la crise des dettes souveraines en 2012, le dirigeant italien s’était engagé à « faire tout ce qu’il faudra » (« whatever it takes ») pour sauver les économies membres. Ce bout de phrase, devenu emblématique, fut le point de départ d’une série de mesures inédites – des taux négatifs au QE – pour rétablir la stabilité de l’union monétaire. Huit ans plus tard et dans une situation aussi délicate pour l’avenir de l’économie mondiale, Christine Lagarde marquera-t-elle l’histoire ? Elle s’exprimera le 12 mars 2020, suite à la réunion de politique monétaire.