La taxe carbone est une idée ancienne en tant qu’outil pour impulser la transition énergétique. Mais son application en termes de politique publiques est très récente, révélant les mérites et les limites de ce dispositif. Face à la nécessité de diminuer les émissions de gaz à effet de serre, introduire des normes et des interdictions est difficile à appliquer et laisse peu de marges de manœuvre aux acteurs économiques. A l’inverse, introduire un prix du carbone est plus flexible mais revient, à long terme, au même : notre consommation ayant un fort un impact carbone disparaîtrait car elle sera devenue trop coûteuse et donc prohibitive. La différence se joue sur le fait que la taxe carbone laisse jouer les acteurs de marchés à la place d’une autorité dirigiste.

L’importance du signal prix pour faire anticiper les acteurs du marché

La taxe carbone est introduite car on suppose qu’elle ne fera pas qu’organiser une simple restriction : elle rendra naturellement plus rentables et attractives des solutions alternatives qui se substitueront aux consommations polluantes sur le marché : on appelle cela un signal prix. Il s’agit d’envoyer un message au marché pour qu’il comprenne qu’il doit s’adapter. Dans une optique libérale, le signal prix est la principale supériorité qu’a le marché sur la régulation de l’Etat : le marché reflète, à travers le prix qu’il revoie, l’ensemble des informations qu’il détient, l’Etat étant toujours plus myope que le marché (il est incapable de rassembler et de se servir d’autant d’informations pour mener une action économique efficace). Pour que les marchés anticipent et s’adaptent, la hausse du prix du carbone doit être prévisible et progressive : l’idée est de créer un prix plancher du carbone, qui augmente avec le temps. De même, cette hausse doit être suffisamment forte : les études montrent que pour qu’elle joue un vrai effet dissuasif, la taxe carbone doit être au moins de 30 euros la tonne de CO2, puis monter progressivement à euros la tonne.

Le principal objectif est donc de jouer sur les anticipations : les consommateurs et les entreprises savent que dans un certains nombres d’années, le prix de leurs pollutions aura augmenté et qu’entre temps elles devront s’être adapté : la consommation doit être significativement modifiée, en évitant les effets rebonds, c’est-à-dire la hausse de la consommation après un gain d’efficacité (rouler plus quand sa voiture consomme moins par exemple), et des solutions nouvelles d’innovation doivent être trouvées.

La France a introduit une taxe carbone récemment et à bas bruit

Qu’en est-il réellement aujourd’hui ? La France a tenté à plusieurs reprises d’introduire une taxe carbone, en 1997 puis en 2009, mais la réforme a échoué. Entre temps, s’est mis  en place le marché carbone européen (ETS). Ce mécanisme a échoué car il n’a pas envoyé de signal clair sur les prix futurs. Le prix du carbone est resté très bas, et a surtout beaucoup varié, ce qui n’a pas donné d’incitations particulières aux entreprises. De même, il est possible d’observer l’évolution des comportements des consommateurs lors des périodes de forte hausse de prix du pétrole : entre 2003 et 2008, le prix du pétrole a quadruplé, sans que la consommation baisse particulièrement. De manière générale, le consensus économique explique que la consommation du pétrole n’est pas élastique, c’est-à-dire qu’elle n’est  pas très sensible au prix.

Pour autant, il est indéniable que lorsque les prix sont élevés, comme dans les années 1970 ou 2000, chacun s’est adapté avec l’instauration de bonnes pratiques, en consommant moins et en améliorant l’efficacité énergétique. De même, de nombreuses entreprises ont bien compris qu’à terme, la transition écologique aurait lieu, et qu’il était temps de s’adapter. Ainsi, de nombreux grands groupes du CAC40 ont établi un prix implicite du carbone : ils évaluent l’impact carbone de leurs investissements futurs, donnent un coût à cet impact carbone, et investissent là où ce coût sera le moins élevé. Mais ce mouvement reste limité, sans que la logique économique qui entraîne une forte consommation d’énergie fossile soit réellement remise en question.

La France a finalement décidé, en 2014, d’introduire une taxe carbone, la Contribution Climat Energie (CCE), dont le montant était censé augmenter progressivement avec le temps, pour pouvoir jouer sur les anticipations. Elle pèse sur la consommation de pétrole (via la TICPE), la consommation de gaz naturel (via la TICGN), et celle de charbon (via la TICC).  Le mouvement des gilets jaunes, provoqué par la hausse de cette contribution, a montré les limites du système. La logique de la taxe n’a pas été assimilée par le grand public, et elle ne s’est pas inscrite dans un grand plan de transformation énergétique qui aurait convaincu les citoyens de son utilité. Cette expérience nous indique les conditions essentielles pour que la taxe carbone réussisse (développées en deuxième partie).