En octobre 2018, l’avocat général de New York a lancé des poursuites contre la firme Exxon Mobil pour avoir minimisé le risque financier que le changement climatique fait peser sur son activité. Ce n’est donc pas un argument environnementaliste qui est invoqué, mais un argument purement financier : les entreprises s’exposent à d’importantes pertes dans les années à venir, et les actionnaires seront de plus en plus nombreux à leur demander des comptes, à travers la mise en place d’une justice climatique.

Cet exemple illustre la manière dont le monde des affaires prend de plus en plus au sérieux le changement climatique sur sa rentabilité. Une étude de PwC a elle montré qu’un tiers des chefs d’entreprises en Grande-Bretagne étaient préoccupés par ses impacts sur leurs perspectives de croissance. Les régulateurs publics sont aussi fortement préoccupés à propos de la stabilité financière : après la crise de 2008, la crise environnementale pourrait être le nouveau détonateur qui déstabilisera durablement l’économie.

C’est une des plus éminentes figures du monde économique qui a tiré la sonnette d’alarme. Dans un discours de 2015, le président de la Banque d’Angleterre, Mark Carney, a averti son auditoire sur les trois risques climatiques auxquels ferait face le secteur financier à l’avenir :

  • Les risques physiques: La multiplication des évènements météorologiques extrêmes, ouragans, sécheresses, montée des eaux… engendrera des coûts divisés en deux catégories. D’une part, les destructions de capital (usines, matériel…), et l’épuisement de ressources et de la biodiversité engendreront de fortes pertes. D’autre part, les coûts d’adaptation seront eux aussi immenses. Il n’y a qu’à penser aux investissements que les Pays-Bas vont devoir effectuer pour empêcher une large partie de leur pays d’être engloutie sous les flots. Enfin, les coûts indirects porteront sur les réfugiés climatiques, les guerres, conflits et instabilités engendrés par un environnement plus hostile.
  • Les risques de transition: Ne pas s’adapter aux nouvelles conditions économiques coûtera cher, car les entreprises jugées plus exposées au risque climatique auront plus de difficultés à se financer. De nouveaux critères seront imposés pour évaluer l’attribution de crédits. L’adaptation est donc urgente face aux transformations rapides de l’économie. De manière très concrète, la décision du gouvernement chinois d’interdire la vente de véhicules thermiques après 2030 fermera le plus grand marché du monde aux constructeurs automobiles qui n’auront pas pris le tournant du véhicule électrique ou hydrogène. Il s’agit également de saisir de nouvelles opportunités économiques et de nouveaux marchés qui émergeront avec les solutions et les technologies bas carbone. Des modèles de business renouvelés créeront des emplois dans des secteurs encore balbutiants. C’est également un argument de compétition internationale et de politique industrielle entre les différents États. Le grand shift énergétique est pris très au sérieux par de nombreuses entreprises qui ont compris que les premiers arrivés sur ces nouveaux marchés auront des avantages décisifs.
  • Les risques de justice climatique: Comme avec Exxon, de plus en plus d’entreprises seront poursuivies pour leur responsabilité dans le changement climatique sur la base des accords internationaux. Cela vaut aussi pour les États : en octobre 2018, une cour d’appel des Pays-Bas a condamné l’État car ses politiques environnementales n’étaient pas assez ambitieuses. De tels procès, médiatiques, auront également un fort impact sur la réputation des entreprises, et les rendra moins compétitives.

Ce discours a eu un fort écho dans le monde des entreprises. Henri de Castries, patron d’AXA, a ainsi déclaré qu’un monde à 4 degrés de plus n’était pas assurable. Les banques évaluent leur exposition au risque climatique et se lancent dans l’émission de green bonds, tandis que les entreprises revoient fortement leurs stratégies. ENGIE a ainsi annoncé un plan d’investissement de 15 milliards dans le renouvelable, en abandonnant ses activités dans le charbon et le pétrole. Les risques climatiques pourraient donc être l’argument le plus fort pour mobiliser les entreprises dans la transition énergétique.