En 1991, la victoire du capitalisme sur le communisme est totale ! Le vrai débat se situe non plus entre le socialisme et le capitalisme, mais au sein même du capitalisme. L’économiste français Michel Albert rédige alors un livre qui fera date : Capitalisme contre capitalisme (1991). Il part de l’idée que le capitalisme est « multiple, complexe comme la vie », et que « cette diversité tend à la bipolarisation entre deux grands types de capitalisme d’importance comparable et entre lesquels l’avenir n’est pas joué ». Il oppose le capitalisme anglo-saxon au capitalisme germano-nippon, ou, plus précisément, le modèle néo-américain au modèle rhénan.

Le capitalisme rhénan

Dans sa forme épurée, le modèle rhénan peut se caractériser de la manière suivante :

  • Une vision à long terme prônant l’auto-financement des entreprises et un système de partenariat avec les clients, fournisseurs et employés ;
  • Un système de protection sociale, ou welfare state, très développé ;
  • Une prééminence des banques sur le marché dans le financement des entreprises ;
  • Un modèle de cogestion entre de puissants syndicats patronaux et salariaux, minimisant les conflits sociaux ainsi que les interventions directes de l’Etat dans la vie des entreprises ;
  • Une politique de stabilité monétaire.

Ce type de capitalisme connaît ses prémices dans l’Allemagne Bismarckienne de la fin du 19ème siècle, où les premières grandes lois sociales furent votées : lois sur l’assurance maladie en 1883, lois sur les accidents du travail en 1884, lois instaurant une assurance vieillesse et invalidité en 1889. Il prend surtout son essor après-guerre, dans le modèle d’économie sociale de marché (soziale Martkwirtschaft) en ex-RFA. Il s’inscrit comme une solution médiane entre le capitalisme anglo-saxon et l’économie planifiée de l’ex-RDA.

Nombre de pays se rapprochent aujourd’hui de ce modèle : Pays-Bas, pays scandinaves, Autriche, Suisse ou encore Japon.

Selon Michel Albert, ce modèle « incarne une synthèse réussie entre le capitalisme et la social-démocratie ».

Le capitalisme néo-américain

Ce type de capitalisme prend toute sa dimension sous la présidence de Ronald Reagan (1980-1988).

Voici ses principales caractéristiques :

  • Poids majeur de la finance, notamment dans le financement des entreprises : « Le marché financier en vient […] à exercer une véritable tutelle sur l’économie en général » (Michel Albert) ;
  • Exaltation de l’initiative individuelle, de l’individualisme en général, de la prise de risque ;
  • Privilège donnée au gain rapide, au profit à court terme, corollaire au pouvoir écrasant des actionnaires sur les managers en entreprise ;
  • Faible règlementation, voire dérégulation, sur les marchés financiers ou encore le droit du travail.

Ce modèle renvoie plus généralement au capitalisme anglo-saxon, et se retrouve donc, sous différentes formes, et de manière plus ou moins marquée, dans les pays suivants : Etats-Unis, Royaume-Uni (surtout sous Margaret Thatcher), Canada, Australie, Nouvelle-Zélande et Irlande.

L’analyse de Michel Albert

Dans son ouvrage, Michel Albert fait clairement le choix du capitalisme rhénan, jugé plus solide sur le long terme, plus stable et plus juste. Il reproche au modèle américain de privilégier l’intérêt particulier et le profit immédiat d’une poignée d’individus au détriment de l’intérêt général : « trop faire pour le profit aujourd’hui nuit au profit demain ». Michel Albert est convaincu que le modèle rhénan est donc préférable tant en termes d’efficacité que d’éthique.

Pourtant, il remarque, en cette fin de 20ème siècle, que le modèle anglo-saxon a le vent en poupe ! L’argent facile fait d’avantage rêver que la sagesse rhénane. Conjointement, la crise des idéologies et la montée de l’individualisme tendent, dans un contexte de mondialisation croissante, à unifier les pratiques en faveur de la pratique la plus séduisante : « un maximum de profit tout de suite » ! Enfin, il remarque que l’effondrement récent des économies socialistes dévalorise « de proche en proche et injustement, tout ce qui se rattachait de près ou de loin à l’idéal socialiste, réformateur ou tout simplement social ». Bref, le capitalisme rhénan pâtit, en 1991, « de l’air du temps, de la sensibilité du moment ».

Un nouveau modèle bien particulier a depuis émergé : le capitalisme d’Etat chinois !