Arnaque au CO2 : Comment ça marche ?

“En ce monde rien n’est certain,
à part la mort et les impôts.”

Benjamin Franklin

On en a parlé comme le casse du siècle, on l’a décrite comme l’une des plus importantes fraudes fiscales en territoire européen, qui, par une exploitation malicieuse de failles systémiques de la fiscalité, a lésé les Etats membres de l’UE de plusieurs milliards d’euros. Revenons sur l’affaire de la fraude à la TVA sur les quotas de carbone.

Comment, à l’ère d’Internet, du big data, de l’échange d’informations et de la coopération en matière de renseignements entre Etats souverains, peut-on arriver à berner ces derniers et à leur dérober, sous leurs yeux, des milliards d’euros ?

Un bref rappel de fiscalité s’impose : les impôts et taxes sont ce que les entreprises et les ménages paient à l’Etat auquel ils sont fiscalement rattachés (en général le pays de leur résidence) en contrepartie des services publics, de la sécurité, de l’entretien du bien commun. C’est l’une des sources principales de financement des Etats. Par exemple, les entreprises sont soumises à l’impôt sur les sociétés, calculé sur la base de leur résultat. Leurs salariés, eux, sont soumis à l’impôt sur le revenu, retenu à la source.

La taxe sur la valeur ajoutée (TVA) est, quant à elle, répercutée sur l’acheteur final du bien. Lorsque vous prenez un café, vous le payez toutes taxes comprises (TTC). Idem quand vous faites vos courses. Les taux varient selon le bien ou service, et de pays en pays. Par opposition aux consommateurs finaux, les entreprises achètent TVA comprise à leurs fournisseurs (TVA qu’elles récupèrent après de la part du fisc) et facturent TVA comprise à leurs clients (TVA qu’elles remettront au fisc). Les entreprises sont donc des collecteurs de cette taxe au profit du fisc. On parle de neutralité de la TVA.

Avant de continuer, halte à un abus de langage fréquent, qui consiste à confondre taxe carbone et taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sur les quotas de carbone. La taxe carbone est une taxe ayant pour but de protéger l’environnement en taxant les producteurs de dioxyde de carbone (CO2) proportionnellement à la pollution qu’ils occasionnent. C’est ainsi que les voitures coûtent plus ou moins cher en fonction de leur émission du principal gaz à effet de serre.

Dans cette même optique, les entreprises se voient attribuer par le législateur des quotas d’émission de dioxyde de carbone, auxquels elles ont droit et qu’elles ne doivent pas dépasser. Est née alors l’idée de la mise en place d’un marché, d’une bourse pour ces droits de polluer, où les entreprises peu polluantes, qui ne consomment pas la totalité de leurs quotas, peuvent les revendre aux entreprises souhaitant produire plus.

La fraude à la TVA existe depuis longtemps, et sous diverses formes. Elle a été exacerbée suite à l’avènement du marché intracommunautaire européen en 1993, qui fonctionne comme si l’Union européenne était un seul et même pays. Les escrocs ont monté une fraude à la TVA de type carrousel. Dans ce type de fraude, les délinquants financiers volent le fisc en exploitant l’exonération de TVA des livraisons de biens et services entre les pays membres. Les quotas de carbone étant des droits, et donc, de fait, dématérialisés, facilitent encore plus l’escroquerie du siècle. Par ailleurs, les formalités administratives pour la création de sociétés de commerce de quotas carbones étaient extrêmement faciles. Les grands bandits ne pouvaient pas rêver mieux !

Illustrons le mécanisme de la fraude carrousel à travers un exemple minimaliste :

Soient trois entreprises (le minimum requis pour qu’une fraude carrousel soit constituée, sans limite supérieure) A, B, et C. L’entreprise A est basée en Belgique, les entreprises B et C sont basées, elles, en France. L’entreprise A, qui peut très bien être honnête, vend hors taxes à l’entreprise B car, s’agissant d’une exportation, la vente est exonérée de TVA. Or l’entreprise B vend toutes taxes comprises à l’entreprise C, car située dans le même pays. L’entreprise B est une société écran, aussi appelée taxi, créée uniquement pour l’occasion, et employant des hommes de paille comme gérants, servant à cacher les véritables têtes pensantes. Elle va encaisser la TVA versée par l’entreprise C, et disparaîtra avant de procéder au reversement de la TVA au fisc. L’entreprise C, ayant acheté TTC à l’entreprise B, sera remboursée de la TVA qu’elle aura payée par le fisc. Le fisc s’en trouve escroqué et peut se retourner légalement contre l’ensemble des sociétés impliquées, peu importe l’honnêteté présumée de certaines d’entre elles. Comme quoi il faut toujours savoir avec qui on fait des affaires.

Des mesures drastiques ont été prises par les autorités pour lutter contre ce type de fraude. S’agissant des quotas de carbone, la TVA a été tout simplement supprimée, ce qui constitue une solution radicale. Mais le carrousel TVA a depuis longtemps existé au sein du marché communaitaire européen. Il a notamment concerné des puces électroniques, des téléphones mobiles et des produits textile. Pour des marchandises non exonérées de TVA, il est plus délicat de combattre la fraude.

Alors, un petit tour en carrousel ?