Comment les Marchés font leur marché ?

Au début du mois de février 2018, les statistiques économiques aux États-Unis ont montré une hausse plus rapide que prévue de l’inflation. Cette observation a mené les autorités de la Banque centrale américaine, la Federal Reserve, à envisager une augmentation des taux d’intérêt plus rapide qu’initialement envisagé. La réaction des marchés a été immédiate : les actions ont connu une forte chute, notamment en France, et les taux d’intérêt sur le marché obligataire ont augmenté très rapidement.

Quel est le lien entre ces trois actualités économiques ? Comment la politique de taux d’intérêt de la banque centrale influence les marchés d’actions et d’obligations ?

  1. Une première influence sur les marchés obligataires

Lorsqu’une banque centrale souhaite limiter l’inflation, elle diminue ses taux directeurs, dont le taux de refinancement. Pour rappel, le taux de refinancement concerne les banques : c’est le taux auquel elles peuvent emprunter de l’argent à la banque centrale. Elles pourront ensuite prêter cet argent, par exemple à des entreprises sous la forme d’une obligation. La banque gagne de l’argent dans l’opération : si le taux auquel elles prêtent à l’entreprise est plus élevé que le taux auquel elles empruntent, elles conservent la différence entre les deux montants. Prenons un exemple : une banque emprunte 100 euros à la banque centrale à un taux annuel de 1%. Cet argent est immédiatement prêté à une entreprise via une obligation dont le taux annuel est de 3%. À la fin de l’année, la banque percevra 3 euros, correspondant aux 3% d’intérêt de l’obligation. Elle paiera l’intérêt de 1%, soit 1 euro, qu’elle doit à la banque centrale. La différence de 2 euros correspondra à son bénéfice.

Si la banque centrale augmente son taux de refinancement, les banques devront prêter à un taux plus élevé aux entreprises pour maintenir un bénéfice. Puisque ce sont les entreprises qui émettent les obligations, elles devront accepter un taux d’intérêt plus élevé pour espérer attirer des prêteurs, notamment des banques. Cependant, cette hausse de taux intervient alors que des obligations déjà émises, avec un taux d’intérêt plus bas, sont encore sur le marché. Dans ces conditions, qui voudrait encore les garder ? À niveau de risque égal, une obligation rapportant plus qu’une autre est immédiatement plus intéressante… De plus, le mode de calcul de la valeur d’une obligation conduit à une baisse de la valeur de l’obligation si les taux augmentent[1].

Les agents boursiers vont donc être tentés d’augmenter la quantité d’obligation dans leur portefeuille au détriment des actions…

2.Une double influence sur les marchés d’actions

On l’a vu, les gérants vont avoir intérêt à augmenter la quantité d’obligations dans leur portefeuille. Cependant, ne disposant pas d’une quantité d’argent illimitée pour cela, ils devront se délester d’actions pour récupérer des liquidités[2]. Si un seul acteur du marché agissait ainsi, on n’en verrait pas les effets. Cependant, tous vont agir de la même façon puisque tous réfléchissent sur le fondement des mêmes principes… Comme l’expliquent les lois de l’offre et de la demande, une augmentation soudaine de l’offre sans augmentation de la demande va conduire à une baisse de prix du bien vendu : les marchés action vont donc globalement baisser.

Ceci va être amplifié par un autre type de considérations. De même que pour les marchés obligataires, les gérants peuvent emprunter pour acheter des actions. Ils le font selon le même calcul que précédemment évoqué : si j’emprunte à 2% et que l’action que j’achète me rapporte 5% en dividendes et plus-value, je gagne la différence. Dès lors que le taux d’intérêt auquel j’emprunte augmente (par exemple, parce que ma banque doit emprunter plus cher auprès de la banque centrale), j’ai moins intérêt à acheter des actions.

Donc en plus de pousser les gérants à vendre leurs actions, elle limite leur possibilité d’en acheter. Pris en tenailles entre une offre importante et une demande qui diminue, le prix des actions peut diminuer significativement. En pratique, le CAC 40 français est passé d’environ 5500 à environ 5080 (soit une baisse d’environ 8%) en l’espace de 6 jours de bourse… C’est une chute telle que la question de savoir s’il y avait eu krach s’est posé à cette période.

Par ces mécanismes, les taux directeurs des banques centrales, les marchés obligataires et les marchés d’actions sont liés. Ce type de raisonnement peut être transposé sur d’autres évènements, tels qu’une hausse de la parité de l’euro. On s’aperçoit ainsi que les différents marchés financiers sont fortement interconnectés.

[1] La valeur d’une obligation est égale à sa valeur présente. Dans sa formule, le taux d’intérêt proposé par le marché est au dénominateur. Plus il augmente, plus la valeur de l’obligation baisse.

[2] À moins qu’ils disposent d’une réserve de liquidité pour ce genre de circonstances. Néanmoins, ils peuvent être tout de même tentés de céder des actions au profit d’obligations pour améliorer le rapport entre risque et bénéfice de leur portefeuille