Cela fait un mois que la LV2 espagnol fait fureur dans les écoles, que les recherches Google “comment braquer une banque” ont explosé, et que le rouge est la nouvelle couleur à la mode…

La raison est simple et vous n’avez pas pu passer à côté : le succès de la série Casa de Papel.

Dans cette série (oui, je résume pour ceux d’entre vous qui vivent dans une grotte), un groupe de 8 braqueurs effectue une prise d’otages dans La Maison royale de la monnaie d’Espagne (La Banque Centrale espagnole) en suivant le plan d’un cerveau qui se fait appeler El Profesor. Leur but n’est pas celui d’un simple braquage, ils veulent fabriquer eux même des billets de banques. Les billets sont ainsi intraçables, et cette technique leur permet de revendiquer un point clé aux yeux de l’opinion publique : ils ne volent en réalité rien à personne.

Mais alors, comment un tel vol se traduit-il pour la population, les banques, les pouvoirs publics ? Si les voleurs gagnent, qui perd ?

Masques de Dali, Inflation et Masse Monétaire

La création monétaire n’est évidemment pas sans conséquences sur l’activité économique. J’ai déjà entendu des enfants expliquer naïvement que pour régler le problème des SDF, il suffirait d’aller là où on imprime lesbillets et leur distribuer. Si cette merveilleuse idée n’est pas appliquée, c’est que l’on ne peut pas simplement créer de la monnaie sans conséquences sur l’ensemble de l’activité économique.

En effet, la manipulation de Berlin et sa bande, consistant à imprimer de l’argent, à créer de la monnaie à partir de rien revient à ce qu’on appelle une augmentation de la masse monétaire.

Dès le XVIe siècle l’économiste Bodin explique qu’une augmentation de la masse monétaire, (l’ensemble de la monnaie qui circule) entraîne une augmentation des prix : l’inflation.

L’inflation correspond à la baisse du pouvoir d’achat de la monnaie qui se traduit par une augmentation générale et durable des prix, en effet, lorsque la monnaie devient plus abondante, sa “valeur”, son pouvoir d’achat décroît. Conjointement à la hausse des prix, l’inflation correspond aussi à une hausse des salaires, et ne devrait pas à long terme faire baisser le pouvoir d’achat des ménages.

Saison 3 : que font les braqueurs avec l’argent volé ?

Dans la série, l’argent récolté est divisé entre les participants du braquage. On peut formuler deux hypothèses quant à l’utilisation du butin.

Il est possible que le monnaie créée ne soit pas utilisée, mais thésaurisée, gardée en réserve sans circuler. Si les braqueurs ne dépensent pas cet argent, la création monétaire n’aura pas d’impact.

En effet, les économistes Fisher et Pigou ont théorisé l’idée déjà présente selon laquelle une augmentation de la masse monétaire donnait lieu à de l’inflation, au moyen d’une équation qui prend en compte deux autres facteurs : le nombre de transactions dans l’économie et la vitesse de circulation de la monnaie.

C’est pourquoi, pour que le plan des braqueurs donne effectivement lieu à de l’inflation, il faut que leur argent circule, et circule vite. Autrement dit, il faut réinjecter cette monnaie dans l’économie afin qu’elle soit utilisée dans les échanges.

D’ailleurs, on peut noter que les braqueurs ont préféré imprimer des billets de 50€ quand bien même ils auraient pu gagner dix fois plus en autant de temps avec des billets de 500. En effet, les billets de 50 circulent beaucoup plus facilement et rapidement que les billets de 500 ou 200.

Milton Friedman et le Plan Tchernobyl

Dans la série, les protagonistes envisagent de finir le braquage en passant à ce qu’ils ont appelé le plan Tchernobyl, ce plan consiste à distribuer tout l’argent créé à la population en le lâchant tout simplement au dessus de Madrid.

L’économiste Friedman avait justement envisagé une telle action de l’Etat. Ce qu’il appelle ironiquement “La monnaie hélicoptère” consiste à redistribuer de la monnaie créée aux consommateurs afin de relancer l’activité économique.

Cela relancerait-il vraiment l’économie que de reverser aux citoyens de l’argent sans contrepartie ?

Dans un premier temps oui, car le revenu immédiat des ménages augmente, ils vont donc en théorie plus consommer, et ce surcroît de consommation augmente les recettes des entreprises. Les entreprises voyant leurs recettes augmenter, investissent, et la monnaie hélicoptère crée alors un cercle vertueux de consommation et d’investissement.

Mais sur le long terme, cette stratégie peut s’avérer inefficace : Friedman introduit la notion selon laquelle la consommation des ménages dépend de leur revenu permanent, et qu’ainsi une augmentation de revenus immédiate génère une augmentation de demande immédiate. A court terme, cette augmentation de consommation n’est pas suivie par une augmentation de l’offre de la part des entreprises. L’offre étant inférieure à la demande, les prix augmentent.

Ainsi, sur le long terme, la monnaie hélicoptère se traduirait seulement par une augmentation des prix, sans que la consommation n’augmente à long terme.

La monnaie hélicoptère, pour remplir ses objectifs de relance, ne doit pas être ponctuelle, mais récurrente afin d’entretenir un cercle vertueux qui poussent les ménages à consommer, et les entreprises à investir.

Casa de Papel, ou le complot de la BCE

Il setrouve en réalité que les Etats, et plus précisément la Banque Centrale Européenne, s’est livrée récemment  à une opération de création monétaire.

En 2010, la BCE alors dirigée par Mario Draghi, a racheté des titres de dettes, c’est ce qu’on a appelé le Quantitative easing.

Cette manipulation, qui fait gonfler la masse monétaire, n’est qu’une manière détournée de créer de la monnaie (de “faire tourner la planche à billets” pour reprendre les mots de l’économiste Français Rueff), dans un contexte institutionnel où la BCE s’est interdite la création monétaire à proprement dite, afin de garantir une stabilité monétaire au sein de la zone Euro.

Le but de Draghi et du Quantitative easing était ainsi de relancer l’inflation, alors proche de 0 (la BCE s’était fixé depuis 2008 un objectif de 2%).

Peut être, le professeur est en réalité depuis le début un envoyé de la BCE, et son plan un moyen pour les Etats de créer de l’inflation sans déroger aux règles européennes en matières de création monétaire.

Le professeur est le seul à ne pas avoir un nom de ville, peut être devrait-il s’appeler Francfort, siège de la BCE, pas loin de Berlin…