Sur le podium des marchés boursiers, les titres financiers défilent à une cadence infernale. Une foule d’analystes et observateurs plus ou moins avisés les scrutent, les jugent, en notent les défauts. Certains sont subjugués par leur rentabilité ; d’autres horrifiés par leur mauvais retour sur investissement. Mais la plupart avisent en fonction des canons financiers du moment ! Cette métaphore du concours de beauté, fut utilisée en 1936 par l’économiste britannique John Maynard Keynes pour illustrer le fonctionnement du marché boursier, au chapitre 12 de son livre référence : Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie.

Origine de l’expression

Keynes tire cette expression des concours de beauté organisés par un journal londonien de l’époque. Il s’agit alors d’élire les plus belles femmes parmi une centaine de photographies publiées. Le gagnant est le lecteur dont le choix se rapproche au mieux des six photographies les plus sélectionnées. Le lauréat est donc celui ayant anticipé au plus près le consensus global.

Ainsi, pour remporter ce concours, le lecteur ne doit pas raisonner selon ses goûts personnels, mais bien selon ce qu’il croit être les canons de beauté les plus plébiscités par l’ensemble des lecteurs : un lecteur donné parie sur les femmes dont il pense que les autres éliront, ceux-là même choisissant celles qu’ils pensent que les autres éliront, et ce à l’infini !

Application de cette théorie aux actifs financiers

Selon Keynes, les marchés financiers fonctionnent de manière semblable. Les prix des titres ne varient pas tant selon des critères objectifs (croissance du chiffre d’affaires, taux de profitabilité, place occupée sur le marché…) mais plutôt selon la croyance générale sur l’évolution du titre en question. Dès lors, la stratégie la plus payante pour l’investisseur consiste d’abord à deviner ce que les autres pensent. Pour réaliser un profit, il ne doit pas chercher à connaître la « vraie » valeur de l’entreprise, mais il doit deviner le prix correct selon les autres. Chacun agissant d’abord selon ce critère, la fixation du prix devient ainsi un jeu de miroirs à l’infini. On parle de « logique autoréferentielle » (Le pouvoir de la finance, André Orléan, 1999).

Effets pervers

Il n’est pas sain que le prix d’un actif soit d’abord le produit de croyances, de représentations et d’anticipations – même si, le plus souvent, ces croyances reposent, dans une certaine mesure, sur des données objectives. Un tel phénomène favorise la création de bulles spéculatives du fait des comportements moutonniers qu’il suscite : il ne s’agit pas de se faire un avis objectif sur un actif, quel qu’il soit, mais de suivre le troupeau, ou plutôt d’en anticiper les mouvements. Si un mouton, pourvu qu’il ait une certaine autorité parmi les siens, décide de changer de direction, il est fort à parier que les autres le suivront aveuglement. La bulle explosera alors, plus vite encore qu’elle n’a gonflé !