Dis-moi qui te paye pour faire la valo,
je te dirai de combien c’est biaisé.

Pas besoin d’avoir un doctorat en physique théorique (R.I.P. Stephen Hawking) pour calculer la valeur d’une entreprise, processus communément appelé évaluation ou valorisation. La preuve, le niveau de maths requis pour le faire est à peine celui du primaire : tout ce que vous avez besoin de connaître, ce sont les quatre opérations arithmétiques fondamentales, à savoir l’addition, la soustraction, la division et la multiplication. C’est dire si l’évaluation d’entreprises est une chose simple, et non compliquée.

Les financiers ont cela d’odieux d’avoir créé un jargon technique qu’ils sont les seuls à comprendre. Mais c’est notre mission, à Dr. Economics, de remédier à cela, non ?

Dans ce premier billet, nous présentons le sujet dans les grandes lignes. Nous reviendrons plus en détail sur les concepts comptables et financiers dans de prochains articles.

Il y a quelques décennies, la chaîne National Geographic diffusait une scène troublante, celle de centaines de petits rongeurs, connus sous le nom de lemmings, qui couraient à toute vitesse puis sautaient du haut d’une falaise dans l’océan. Tout le monde s’est alors posé la question de savoir pourquoi ils faisaient cela, pourquoi ils se suicidaient collectivement. Sans connaître la réponse à cette interrogation, nous pouvons supposer que le premier des rongeurs à s’être jeté du haut de la falaise courait trop vite et qu’il ne pouvait pas freiner. Idem pour celui qui le suivait. Mais quid du dernier d’entre eux, qui a vu des centaines de ses semblables disparaître du haut de la falaise ? La raison lui dirait certainement de s’arrêter, mais une petite voix au fin fond de lui a certainement dit : « Ils doivent savoir quelque chose que tu ne sais pas ». Cette phrase est l’une des plus dangereuses du monde de l’investissement, rappelle Aswath Damodaran, professeur de finance à Stern, NYU.

Et d’ajouter, nous pouvons diviser les investisseurs en trois grands groupes de lemmings. Le premier, appelons-le le groupe des lemmings fiers d’eux-mêmes, suivent la foule. Le deuxième, appelons-le celui des lemmings malins, se croient plus intelligents, et courent avec la foule jusqu’au moment où arrive la falaise et s’arrêtent. Enfin, le troisième groupe, appelons-le celui des lemmings prudents, portent un gilet de sauvetage. Et c’est cela l’évaluation : elle vous fournit une référence à laquelle vous tenir quand tout le monde change d’avis et de direction.

Pour l’anecdote, la plupart des gens ne croient pas en l’évaluation, même ceux dont c’est le gagne-pain, et qui la font parce que c’est leur travail.

Trois, et seulement trois, familles de méthodes d’évaluation existent :

  1. L’évaluation intrinsèque : ce premier type d’évaluation est basé sur les fondamentaux de la boîte, à savoir le cash qu’elle génère, sa croissance d’année en année, et les facteurs de risque auxquels elle peut faire face. La méthode d’actualisation des flux de trésorerie (DCF pour les connaisseurs), sans être la seule, est la plus commune pour estimer la valeur intrinsèque.
  2. L’évaluation relative : comme son nom l’indique, cette méthode permet d’estimer la valeur de l’entreprise par rapport à d’autres entreprises concurrentes, localement ou à l’international. On cherchera les entreprises les plus similaires (en termes de taille, de business model, etc.) afin de limiter le biais au maximum.
  3. L’évaluation inspirée de l’évaluation des options : relativement nouvelle, elle demeure moins populaire que les deux premières, mais présente un potentiel d’application intéressant. Dans ce type d’évaluation, la valeur dépendra de la réalisation, ou pas, d’événements donnés, comme l’obtention de l’autorisation de mise sur le marché d’un nouveau médicament pour une entreprise pharmaceutique.

Chacune de ces approches suppose que les marchés font des erreurs. Si les marchés ne faisaient pas d’erreur, il n’y aurait pas lieu d’évaluer des entreprises, puisque le prix du marché est correct !

Vous l’aurez deviné, l’évaluation n’a rien d’une science exacte. Si vous êtes banquier d’investissement et qu’un client vient vous voir avec une entreprise cible à évaluer, votre mission est avant tout de réussir le deal. Dès lors, vous allez ajuster vos hypothèses pour justifier la valeur que votre client désire.